31 janv. 2014

La Technosociété (4) : histoire antique de la technique

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"Notre adoration moderne pour la technique est un dérivé de cette adoration ancestrale de l'homme devant le caractère mystérieux et merveilleux de l'oeuvre de ses mains"

Jacques ELLUL dit :

   - Que la technique a précédé la science dans l'histoire humaine ;
   - Que la magie a toutes les caractéristiques d'une technique ;
   - Que les Grecs méprisaient la technique, d'où la séparation précoce entre science et technique ;
   - Que les Romains au contraire ont été les premiers à appliquer la technique à la gestion de la société.


1. Déroulement

L'activité technique est la première de l'homme, elle a été maintes fois étudiée et décrite. Mais malgré tout ce qu'on a pu dire, personne n'a su expliquer "l'invention" : tous les discours sur la technique et son insertion dans la société ne peuvent expliquer qu'une activité qui n'existait pas existe enfin. Comment a-t-on eu l'idée de créer des outils ? comment a-t-on eu l'idée d'affiner et d'allier les métaux ?
Ironie de l'histoire des sciences, l'invention, le point de départ de toutes les techniques, reste la grande inconnue.

Techniques primitives

Au risque de paraître douteux, il faut comprendre que la magie, par son formalisme et ses objectifs, est rigoureusement une technique : la magie est un moyen de médiation, une méthode par laquelle l'homme peut influencer son environnement dans un but précis d'équilibre ou de profit.
Aujourd'hui nous rejetons officiellement la magie pour idolâtrer le rationalisme, mais il me semble que nous refusons de voir que l'ensemble des "techniques de l'homme" (citons par exemple la médecine, la communication, la pédagogie, le management) est très analogues aux techniques magiques.

  • Je reviendrai sûrement un jour sur la magie et les sciences occultes qui de toute évidence ont un lien de filiation avec la science moderne.
Ceci dit, la magie diffère évidemment de la science moderne et ce sur un point crucial : la magie ne progresse pas. C'est-à-dire ?

C'est-à-dire que la magie est régie par un système de croyances complexe où tout dépend de tout, ainsi on ne peut toucher un principe ou une technique sans déstabiliser l'ensemble du système. La magie est Une et ne souffre donc d'aucune concurrence car elle est préservée par l'occultisme et l'hermétisme les plus extrêmes. Bref, pas de techniques concurrentes, donc pas d'évaluation, donc pas de progrès. Cette notion de concurrence est décisive pour le phénomène technique.

  • A noter également que fondamentalement, la magie glorifie l'Homme en voulant l'élever au rang des dieux. Tout le contraire de la science qui au contraire glorifie la Nature et la place au dessus de l'Homme.
De tout ça il ressort que la magie reste folklorique et anecdotique, elle ne peut donc participer à l'évolution de la société humaine.

La Grèce antique

Dans le Péloponnèse antique la technique est essentiellement orientale (raffinage des métaux, verrerie, poterie, trempe des armes...), le Moyen-Orient est alors (avec la Chine) le berceau de toutes les techniques. Par contre, la technique orientale n'a presque pas de fondement scientifique, pas de théorie générale. En Grèce c'est l'inverse : beaucoup de théories scientifiques mais sans objectif technique. La science d'alors est purement contemplative.
Le recours à la technique orientale tient du fait que les grecs n'ont pas pour but le développement matériel. Ainsi la science grecque est dénuée de tout génie inventif, or à cette époque la technique s'impose déjà comme une nécessité sociétale. La société grecque n'était pas faites pour durer...
Les vraies raisons de cette dichotomie science/technique sont purement philosophiques : la recherche de l'harmonie, de l'équilibre avec la nature, une certaine conception de la vie fondée sur le développement intellectuel, le refus de toute puissance. Tout ceci a mené vers une société hédoniste où la technique fut rejetée (et oui, la technique et l'activité manuelle sont puissantes par essence).
  • Question : les grecs recherchant l'harmonie et l'équilibre, le refus de la technique n'est-il pas une préservation de leur système de pensée ? ne se sont-il pas arrêtés au moment même ou la science risquait la démesure et la tératogenèse ? ou la société aurait atteint un point de non retour ?

Rome

Les romains sont les premiers à développer une technique sociale aboutie : l'organisation de la société romaine est fondée sur des techniques politique, administrative, juridique et militaire. Jusque là les grandes civilisations (Mésopotamie, Egypte, Chine...) n'ont tenu que par la contrainte, la police, et même si les armées appliquaient de réelles stratégies celles-ci n'étaient que militaires et dénuées de tout fondement social.
La nouveauté est que la civilisation romaine n'est pas le fruit d'une pensée abstraite mais est une représentation achevée de l'esprit technique :

(1) Devant la nécessité d'utiliser les ressources de façon raisonnée (en regard de la démographie) les romains ont cherché à optimiser et à raffiner chaque moyen. Ce sont alors les premiers à considérer la multiplicité des moyens comme une faiblesse technologique, ils sont ainsi les premiers à développer une réelle science de la technique.

(2) Chez les romains, la recherche de l'équilibre entre le facteur technique et le facteur humain est essentiel au maintien de leur société. A aucun moment la technique juridique ne doit se substituer à l'homme, la technique ne doit effacer ni l'initiative ni la responsabilité du citoyen. C'est vers le 3e siècle qu'on voit la technique administrative et juridique être intrusive et chercher à tout prévoir, tout règlementer.

(3) La technique romaine semble ordonnée à un but précis : la cohérence interne de la société. La technique ne se justifie pas par elle-même, elle n'est pas imposée par l'extérieur, elle reste un ensemble de moyens, loin du phénomène anthropophage que nous décrivons par ailleurs.

(4) Toutefois la caractéristique la plus étonnante de la technique romaine est la continuité et la prospective. La technique sociale est sans cesse adaptée aux époques et aux régions, le tout selon un plan historique précis. Les romains avaient l'habitude de préparer des outils en prévision de conditions plus favorables pour leur développement.
  • Finalement, les techniques matérielles et industrielles (instruments, armement, travail des métaux, poterie...) n'évoluent pas considérablement. La plupart viennent du monde arabe qui est alors le plus concret et le plus technicisé.
Les romains sont étonnant par leur vision technologique globale, ainsi ils révolutionnent la société humaine par cette idée d'appliquer la technique à l'organisation et la gestion de la société dans son ensemble. C'est lorsque cette vision fut emportée par la démesure que la civilisation romaine montra ses limites, s'en fut fini de l'empire romain. Les conditions d'alors (toujours très ancrées dans la magie et la religion) n'étaient pas propices au développement de la technosociété.

GF
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