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Le problème posé est-il entre « science et société » ou bien entre « citoyen et société » ? Dans le billet précédent, nous avons risqué l'hypothèse (1) d'une société visant à devenir entièrement technique et (2) d'un homme pris au piège du système qu'il a lui-même mis en place. Hypothèse maintenue. Nous discutons ici des images relatives que se renvoient le monde scientifique et le monde social.
Le problème posé est-il entre « science et société » ou bien entre « citoyen et société » ? Dans le billet précédent, nous avons risqué l'hypothèse (1) d'une société visant à devenir entièrement technique et (2) d'un homme pris au piège du système qu'il a lui-même mis en place. Hypothèse maintenue. Nous discutons ici des images relatives que se renvoient le monde scientifique et le monde social.
Le
grand paradoxe que nous pointons est que nous vivons une époque où
l'intrication
science-société n'a
jamais été aussi forte, pourtant, force est de remarquer le
décalage entre les revendications humaines et la direction prise par
la Technosociété.
Le
public a peur de la science et des risques qu'elle charrie, voici la
base de la plupart des discussions sur le sujet. La réalité est
sûrement plus complexe, mais c'est un point de départ.
Quand
certains disent que « la dépendance de la société vis-à-vis
du progrès technique ne tient qu'à l'aune de la peur que nous
inspire l'idée que ce progrès puisse disparaître », je pense
que c'est là une façon grossière et naïve de considérer le
sujet. On réduit non seulement la technique à une simple
application de la science, mais également au seul confort matériel
qu'il procure. Cette vision est encore trop centrée sur l'homme.
Voilà
donc la grande soupe populaire : la Science est bonne et c'est
l'Homme qui est mauvais par l'utilisation qu'il en fait. Cette soupe
sent bon le positivisme, le but de ce développement est de cracher
dedans.
Evidemment,
on aime la science car
elle nous donne une puissance et une certaine maîtrise de la nature,
de l'espace et du temps, de soi, des autres. Mais évidemment on hait
cette même science car elle donne justement à l'autre la même
puissance pouvant nous nuire. La science a ceci d'ambigu qu'elle nous
rend à la fois maître et esclave de notre environnement. Une chose
est sûre, c'est qu'on ne peut plus s'en passer, même l'imaginer est
difficile. On remarque d'ailleurs qu'il
n'a jamais été question dans nos sociétés de se passer du progrès
scientifique...
Un
autre lieu commun est que
la mondialisation des échanges
a occasionné le passage d'une science honnête, pure, utile et
salvatrice à une science intéressée, risquée et inutile face aux
problèmes de société. C'est simpliste au possible, mais c'est pas
complètement faux.
Surtout,
il existe un amalgame ordinaire entre science, technique, recherche et
développement. Alors que critiquent ces lieux communs ? la science en
tant que système de connaissance ou bien la recherche scientifique
et ses orientations politiques ? Cette question semble anodine, mais
elle pose un vrai problème de fond à qui pense y répondre
facilement. Inutile
d'aller
plus loin pour le moment, tout au plus je remarque que face à la
question de la place de la technique et des sciences dans la société
la
réponse sociale semble inexistante.
C'est semble-t-il une question qui n'intéresse pour l'instant que
quelques intellectuels...
Peur
de quoi ?
On
entend donc souvent que le public à peur de la science. Ça veut
dire quoi au juste et de quoi a-t-on peur ? De nombreux sociologues
ont déjà apporté des éléments de réponse, les voici dans le
désordre :
« La
science produit autant de nouveaux problèmes qu'elle en résout ».
J'ai pas fait le compte, mais admettons. Avant tout on pose ici la
question du risque
technologique
et de la peur du risque. A noter également que la science ne résout
que des questions techniques, alors que les problèmes qu'elle
engendre au yeux du grand public semblent être d'un autre ordre,
plus existentiel.
L'histoire
des sciences et des techniques montre les
dérives sociétales dues
à leur utilisation malveillante. A ce titre, deux exemples ont
marqué les consciences : le Nazisme (et l'industrialisation de la
mort) ; les accidents de Tchernobyl et Seveso (et une industrie devenue
dangereuse alors qu'elle était sensée nous sauver). On met en cause
les scientifiques, mais également l'outil scientifique part lui même
: peu à peu, le négativisme grignote le positivisme de nos aïeux.
Une
autre conséquence inquiétante de la technoscience est
l'industrialisation et la financiarisation de la connaissance.
Ceci allant avec le risque que privatisation du savoir rime avec
privation du savoir (cf. propriété intellectuelle). La « société
de la connaissance » n'est peut-être pas celle qu'on espère.
On
remarque aussi très souvent la
peur du scientifique-savant fou
qui ne considère ses semblables que comme un système
physico-chimique et qui applique de façon abusive le domaine de
validité des concepts et théories à tous les pans de la société.
Des exemples bien connus : le darwinisme social et l'eugénisme, la
taylorisation du travail, le marketing et la programmation
neurolinguistique.
On
pose là le problème éthique de la modification de la nature, de
l'être. On critique l'objectivation à outrance. Et cette question
en filigrane :
pourquoi respecter encore l'être humain s'il n'est qu'un sac
d'atomes -remplaçable par des machines donc ?
Le
progrès scientifique dérange également car il nous contraint à
reconsidérer notre vision du monde, nos croyances, nos préjugés,
nos habitudes. La
technoscience nous plonge dans un monde incertain,
en perpétuelle évolution, un monde instable. Difficile d'y trouver
ses propres repères, et sans repères nous sommes perdus ! :o)
Un
truc très facile aussi, c'est d'invoquer les
peurs archaïques,
du genre « la peur irrationnelle de l'innovation ». La
peur
de l'innovation... je dirais surtout l'indifférence à l'innovation.
Nous applaudissons bêtement l'innovation quand elle ne touche pas
directement notre personne (ainsi des premiers voyages dans
l'espace). A contrario la réaction de méfiance est réelle quand il
s'agit d'implications plus personnelles. Elle donne alors à
réfléchir sur les risques encourus -c'est pas si mal.
Mais
surtout, les sciences et techniques font peur car leur marche semble
inexorable et triomphante : « on n'arrête pas le progrès »
dit-on, et c'est cela semble être une frustration. Avons-nous donc
perdu la maitrise du développement de notre propre société ?
On
critique ici un projet de société imposé,
avec des risques non choisis par les populations. La
démocratie semble alors s'effacer devant l'impératif technologique
: il n'y a plus d'emprise sociétale sur le développement
technoscientifique car c'est la technique désormais qui régie la
société, selon ses lois propres.
Hum,
de quoi lancer une discussion sur les blessures narcissiques.
Peut-être dans un prochain billet. :o)
Peur,
méfiance, déception, révolte ?
Bon,
une fois qu'on a identifier et lister les motifs du rejet populaire
de la science, que fait-on ?
Pour
ma part, je m'interroge : est-ce réellement de la peur ou bien
simplement de la méfiance vis-à-vis de la technoscience ? Dit
autrement, la
peur de la technoscience est-elle seulement un problème de
communication ou
un problème plus profond ?
- La méfiance vis-à-vis de l'innovation est vue par le monde scientifique comme dangereuse pour le progrès scientifique. Ne devraient-ils pas s'en réjouir plutôt ? Cette méfiance populaire me semble saine, elle est le début de tout intérêt et de toute réflexion sur la technique ! A moins que ce soit la réflexion qui pose problème. ;o)
Ce
qu'on remarque surtout, c'est une
grande déception.
Les
promesses inconsidérées des promoteurs de la science toute
puissante, nous laisse aujourd'hui sur notre faim : la science et la
technique nous ont été vendues aux 18-19e siècles comme
émancipatrices pour les masses (marxisme),
comme palliatifs aux limites de la raison humaine (encyclopédisme),
comme antidote contre tous les fléaux touchant l'humanité
(positivisme).
On nous a promis une science libératrice, or cette libération passe
par la maîtrise totale. Cette immodestie dessert l'image populaire
des sciences et techniques.
« on
n'arrête pas le progrès »,
mais peut-on arrêter la science ?
Telle est devenue la question.
Telle est devenue la question.
En
s'opposant à la prétention hégémonique des sciences, à la
brutalité et le dogmatisme du discours scientifique, aux croyances
réductionnistes des scientifiques, les communautés humaines
s'opposent à la transformation de la société en vaste terrain
d'expérimentation, à l'homme comme sujet d'étude, au pragmatisme
et au cynisme de la pensée rationnelle. Voici un demi-siècle que la
magie technique a disparue.
L'homme paraît perdre peu à peu ses illusions quant à l'avenir
radieux qu'on lui a promis. Il se rend compte que le progrès
technique n'est pas la voie de la liberté mais la voie d'une
nouvelle servitude, bien plus autoritaire que celles connues par le
passé.
Mais
le fait d'une technoscience autoritaire et sans limite n'est
peut-être pas si inquiétant. Le plus problématique pour moi est
que ce caractère rend la technoscience pratiquement indépendante
de l'action humaine.
Peut-être
ne voulons-nous pas croire à cette tendance, alors nous rejetons
cette conjoncture sur de mauvais usages et de mauvaises décisions
politiques : nous rejetons la faute sur l'homme dans l'espoir qu'il
puisse encore y remédier.
- Si la science prétend pouvoir tout résoudre, en réalité elle ne peut résoudre que des problèmes techniques et objectifs. Elle suppose donc une société totalement objectivable. Poussé à l'extrême, cette vision emmène forcément sur une société totalitaire dirigée par la technique, où toute démocratie devient illusoire dans la mesure où l'esprit humain -subjectif- devient peu à peu un facteur limitant.
Ironie,
la technique est devenu le
ciment indispensable des relations inter-humaines
: systèmes d'information et télécommunications, moyens de
transports, organisations sociétales... La technique a
donc pris le pouvoir sur
la société humaine, cette dernière ne peut exister sans elle.
Alors
entre science et société, quel est le problème ?
Peut-être
y a-t-il avant tout un
problème d'adaptation
: (1) adaptation des citoyens au système technique et (2) adaptation
de la société technicienne à la demande citoyenne (bien que ceci
ne semble pas nécessaire à son développement...). L'homme est la
seule entité à ne pas être encore totalement objectivée, ouf,
l'honneur est sauf. Manque-t-il alors aux citoyens de développer une
'technologie citoyenne'
(pour être un techno-citoyen) ?
Dans tous les cas, sous la pression technique, l'homme
est mis en demeure de s'adapter rapidement...
En
conclusion, sommes nous en train de vivre la mort de « la
Science », écrasée par « la Technique » ? est-ce
cela que l'on appelle la « technoscience » ? C'est là
notre point de départ pour repenser
la communication des sciences autour du rapport qu'entretiennent les
sciences et les techniques.
S'intéresser
à la relation entre « science et technique », avant la
relation entre « science et société », pour aller vers
la relation « technique et société », puis
« Technosociété et citoyen ». Voici peut-être le vrai
point de départ de la réflexion qui anime ce blog.
GF
.
Pour
se faire une idée et entamer la réflexion :
Paul
FEYERABEND, Contre
la méthode,
1975
Jean
C. BAUDET, De
la machine au système, histoire des techniques depuis 1800,
2004
Anne-Françoise
GARCON, Science
et Technique, Technique et Science : histoire d'une complémentarité
historiquement occultée,
2009
Jean-Marc
LEVY-LEBLOND,
La technoscience étouffera-t-elle la science ?,
2000
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