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Alors comme ça, selon Max Weber, la science moderne est responsable du « désenchantement du monde ». Ceci est pour lui un réel préjudice pour la société humaine.
Alors comme ça, selon Max Weber, la science moderne est responsable du « désenchantement du monde ». Ceci est pour lui un réel préjudice pour la société humaine.
Suite
au billet précédent, nous nous posons ces questions : est-il
raisonnable pour un scientifique de chercher à tout expliquer ? Le
rôle de la médiation scientifique est-il de tout expliquer,
bêtement ? En corollaire, y
a-t-il une place pour la pensée mystique lorsqu'on parle de science
?
De
fait, entre les « molécule miracle », les « exploit
fabuleux » et les « avancée prodigieuses » que
vous avez tous déjà entendus, la communication scientifique frise
par moment le marketing de mauvais goût, voire la publicité
mensongère. Et tout le monde est coupable : journalistes,
chercheurs, communicants, médiateurs, politiques.
Les
médias, festivals et expositions nous vantent le plus souvent une
science qui veut raconter le monde en se substituant aux grands
récits religieux. Si bien que même l'histoire des sciences se
résume à une suite d'hagiographies édulcorées. Pour exemple, un
film comme « la fabuleuse histoire de la science » (BBC, ARTE) résonne comme la « vraie Histoire » du monde
moderne. Mais qu'y a-t-il de fabuleux dans la science ? Et quelle est
la morale de cette histoire, « quand l'homme cherche l'homme
trouve » ? ça fait un peu positiviste tout de même, et c'est
justement ce que ne veulent plus entendre nos oreilles !
Finalement,
on cherche à enchanter les sciences pour que celles-ci aient bonne
presse. Mais ce qu'il est question de réenchanter ici, c'est le monde et non la
science !
Le
savoir scientifique entend établir une vérité objective, chiffrée,
et par conséquent indiscutable. Ceci ouvre sur un monde monocorde où
toute sensibilité est proscrite. Mais la réalité est différente
et il est intéressant de
remarquer que même si la connaissance se rationalise, les concepts
mythiques restent. Prenons des films comme « une vérité qui dérange », « home », « syndrome du Titanic », ne peut-on pas y voir une sorte d'évangile prédicateur
d'apocalypse (le dérèglement climatique ayant remplacé le jugement
divin) ? Comme si la science venait soutenir cette idée que l'homme vulgaire sera finalement puni de ses pêchés...
Les
paradoxes de la communication des sciences
Je ne saurais être assez prudent pour discuter du rapport difficile qu'entretiennent les religions et les sciences. Les premières défendant une vérité divine, les deuxièmes une vérité objective issue de l'expérience. Avec le concept de vérité en guise de pomme de discorde.
Ma
question ici est indirecte : est-il raisonnable de vouloir tout
démontrer ? Et quel est l'intérêt de vouloir mettre les grands
récits à l'épreuve de la science, sinon de vouloir instaurer la
science comme substitut à la religion, en remplaçant un monde
allégorique par un monde cloisonné et sans transcendance ?
Vue
de l'extérieur, la Bible n'est ni un livre d'histoire ni un traité
scientifique, peut-être est-ce une fable... En tout cas, elle est un
texte allégorique véhiculant la morale judéo-chrétienne. Alors
pourquoi s'acharner à prouver (ou invalider) scientifiquement les
événements s'y trouvant ? Trois raisons me viennent : (1) créer
des liens entre récit et faits dans un but de recherche historique
- ok ; (2) l'envie - souvent tacite - d'écraser la pensée magique au
profit de la pensée rationnelle ; ou (3) la stupidité, cette
dernière semblant être majoritaire parmi les médiateurs. :o)
Mon
sentiment est que vouloir passer les faits bibliques au crible
scientifique est un non-sens pouvant avoir de grandes conséquences :
le désenchantement et la perte de sens moral en est une.
- Comme tout à l'heure on voit la science soutenir un concept mystique. Ici le fatalisme religieux (incarné par le destin) est substitué au fatalisme scientifique (comme conséquence d'un déterminisme mécanique). L'avenir est écrit, qu'il le soit en langue divine ou en langue mathématique. ;o)
Je
me pose une autre question : l'envie de toujours chercher à expliquer
les choses ne risque-t-elle pas de réduire la médiation ST à la
simple vulgarisation des faits scientifiques et à l'explicitation
des objets techniques ? Weber insiste sur le fait que les gens ne
comprennent pas les objets (techniques) qu'ils utilisent, et que ceci
participe au coté merveilleux des sciences et techniques. Je
ne pense pas que la diffusion du savoir scientifique soit
nécessaire et suffisante à la diffusion d'une culture scientifique.
Le
médiateur est donc devant une situation paradoxale : rendre la
science enchanteresse alors que par essence celle-ci cherche à
briser les mythes et les ressentis, en imposant une vérité absolue.
Mais
coup de théâtre : il paraît qu'on a prouvé "scientifiquement" que
la science a ses limites ! En effet, les théorème d'incomplétude de Gödel
et principe d'incertitude d'Heisenberg (entre autres) sont autant de
coups d'estoc portés à la notion de vérité absolue et par là
autant de fissures dans le monolithe déterministe de l'idéologie
scientiste. Nous arrivons dans l'impasse où la science elle-même
exprime sa propre incapacité à expliquer le monde et suscite une
alternative au tout scientifique. En effet, si la vérité absolue
n'existe pas alors la pensée rationnelle ne peut assurer la
cohérence du monde. Là est tout l'intérêt des grands récits
religieux.
Vers un storytelling scientifique ?
Je vous pose cette question : y a-t-il réellement de la chimie et des maths partout (comme on entend souvent) ? Ou peut-être voulons-nous en mettre partout ? Ou bien aimerions-nous qu'il en soit ainsi ? Réfléchir à ces questions me semble essentiel pour entamer un processus de communication intelligent sur ces thématiques. Mais alors, doit-on donc forcément narrer des mondes oniriques où théorie de l'évolution et animaux merveilleux se côtoient ? Ne tombons pas dans l'extrême inverse, mais discuter du storytelling me semble ici légitime.
Le
storytelling est aujourd'hui l'apanage des marketeurs et
publicitaires qui ont compris l'intérêt de coller à leur cible,
notamment en activant l'imaginaire collectif issu des grands récits.
L'objet scientifique me semble se prêter parfaitement à la
communication narrative,
à la fois par la portée des connaissances produites que par les
conditions de leur production (sous réserve de l'utiliser avec
modération et discernement). Ainsi pourrait-on présenter les
développements scientifiques comme soutenant les schémas ancestraux
qu'on entend aujourd'hui mettre à bas.
Un
médiateur est-il un redresseur de torts ? J'entend par-ci par-là
qu'au contraire le médiateur est celui qui crée le lien entre les
cultures. Soit. Pour ma part, je pense que prendre en compte la
culture populaire, c'est justement prendre en compte cette pensée
magique.
Alors
il n'est pas question ici de choisir entre 'mythocratie' et
'scientocratie', mais de penser un storytelling scientifique mêlant
pensée magique et pensée rationnelle. L'enjeu étant de
ré-enchanter une société gouvernée par la pensée scientiste. Je
vous soumets l'idée, discutons-en.
GF
.
Si
vous ne les avez pas encore lus :
Bernard
STIEGLER, Réenchanter
le monde : la valeur esprit contre le populisme industriel,
2006
Ilya
PRIGOGINE, La
fin des certitudes,
1996
Christian
SALMON, Storytelling
: la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits,
2007
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