24 nov. 2012

La science peut-elle réenchanter le monde ? (2)

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Alors comme ça, selon Max Weber, la science moderne est responsable du « désenchantement du monde ». Ceci est pour lui un réel préjudice pour la société humaine.
Suite au billet précédent, nous nous posons ces questions : est-il raisonnable pour un scientifique de chercher à tout expliquer ? Le rôle de la médiation scientifique est-il de tout expliquer, bêtement ? En corollaire, y a-t-il une place pour la pensée mystique lorsqu'on parle de science ?
De fait, entre les « molécule miracle », les « exploit fabuleux » et les « avancée prodigieuses » que vous avez tous déjà entendus, la communication scientifique frise par moment le marketing de mauvais goût, voire la publicité mensongère. Et tout le monde est coupable : journalistes, chercheurs, communicants, médiateurs, politiques.
Les médias, festivals et expositions nous vantent le plus souvent une science qui veut raconter le monde en se substituant aux grands récits religieux. Si bien que même l'histoire des sciences se résume à une suite d'hagiographies édulcorées. Pour exemple, un film comme « la fabuleuse histoire de la science » (BBC, ARTE) résonne comme la « vraie Histoire » du monde moderne. Mais qu'y a-t-il de fabuleux dans la science ? Et quelle est la morale de cette histoire, « quand l'homme cherche l'homme trouve » ? ça fait un peu positiviste tout de même, et c'est justement ce que ne veulent plus entendre nos oreilles !
Finalement, on cherche à enchanter les sciences pour que celles-ci aient bonne presse. Mais ce qu'il est question de réenchanter ici, c'est le monde et non la science !
réenchantement du monde



Le savoir scientifique entend établir une vérité objective, chiffrée, et par conséquent indiscutable. Ceci ouvre sur un monde monocorde où toute sensibilité est proscrite. Mais la réalité est différente et il est intéressant de remarquer que même si la connaissance se rationalise, les concepts mythiques restent. Prenons des films comme « une vérité qui dérange », « home », « syndrome du Titanic », ne peut-on pas y voir une sorte d'évangile prédicateur d'apocalypse (le dérèglement climatique ayant remplacé le jugement divin) ? Comme si la science venait soutenir cette idée que l'homme vulgaire sera finalement puni de ses pêchés...


Les paradoxes de la communication des sciences

Je ne saurais être assez prudent pour discuter du rapport difficile qu'entretiennent les religions et les sciences. Les premières défendant une vérité divine, les deuxièmes une vérité objective issue de l'expérience. Avec le concept de vérité en guise de pomme de discorde.
Ma question ici est indirecte : est-il raisonnable de vouloir tout démontrer ? Et quel est l'intérêt de vouloir mettre les grands récits à l'épreuve de la science, sinon de vouloir instaurer la science comme substitut à la religion, en remplaçant un monde allégorique par un monde cloisonné et sans transcendance ?
Vue de l'extérieur, la Bible n'est ni un livre d'histoire ni un traité scientifique, peut-être est-ce une fable... En tout cas, elle est un texte allégorique véhiculant la morale judéo-chrétienne. Alors pourquoi s'acharner à prouver (ou invalider) scientifiquement les événements s'y trouvant ? Trois raisons me viennent : (1) créer des liens entre récit et faits dans un but de recherche historique - ok ; (2) l'envie - souvent tacite - d'écraser la pensée magique au profit de la pensée rationnelle ; ou (3) la stupidité, cette dernière semblant être majoritaire parmi les médiateurs. :o)
Mon sentiment est que vouloir passer les faits bibliques au crible scientifique est un non-sens pouvant avoir de grandes conséquences : le désenchantement et la perte de sens moral en est une.
  • Comme tout à l'heure on voit la science soutenir un concept mystique. Ici le fatalisme religieux (incarné par le destin) est substitué au fatalisme scientifique (comme conséquence d'un déterminisme mécanique). L'avenir est écrit, qu'il le soit en langue divine ou en langue mathématique. ;o)
Je me pose une autre question : l'envie de toujours chercher à expliquer les choses ne risque-t-elle pas de réduire la médiation ST à la simple vulgarisation des faits scientifiques et à l'explicitation des objets techniques ? Weber insiste sur le fait que les gens ne comprennent pas les objets (techniques) qu'ils utilisent, et que ceci participe au coté merveilleux des sciences et techniques. Je ne pense pas que la diffusion du savoir scientifique soit nécessaire et suffisante à la diffusion d'une culture scientifique.
Le médiateur est donc devant une situation paradoxale : rendre la science enchanteresse alors que par essence celle-ci cherche à briser les mythes et les ressentis, en imposant une vérité absolue.
Mais coup de théâtre : il paraît qu'on a prouvé "scientifiquement" que la science a ses limites ! En effet, les théorème d'incomplétude de Gödel et principe d'incertitude d'Heisenberg (entre autres) sont autant de coups d'estoc portés à la notion de vérité absolue et par là autant de fissures dans le monolithe déterministe de l'idéologie scientiste. Nous arrivons dans l'impasse où la science elle-même exprime sa propre incapacité à expliquer le monde et suscite une alternative au tout scientifique. En effet, si la vérité absolue n'existe pas alors la pensée rationnelle ne peut assurer la cohérence du monde. Là est tout l'intérêt des grands récits religieux.


Vers un storytelling scientifique ?

Je vous pose cette question : y a-t-il réellement de la chimie et des maths partout (comme on entend souvent) ? Ou peut-être voulons-nous en mettre partout ? Ou bien aimerions-nous qu'il en soit ainsi ? Réfléchir à ces questions me semble essentiel pour entamer un processus de communication intelligent sur ces thématiques. Mais alors, doit-on donc forcément narrer des mondes oniriques où théorie de l'évolution et animaux merveilleux se côtoient ? Ne tombons pas dans l'extrême inverse, mais discuter du storytelling me semble ici légitime.
Le storytelling est aujourd'hui l'apanage des marketeurs et publicitaires qui ont compris l'intérêt de coller à leur cible, notamment en activant l'imaginaire collectif issu des grands récits. L'objet scientifique me semble se prêter parfaitement à la communication narrative, à la fois par la portée des connaissances produites que par les conditions de leur production (sous réserve de l'utiliser avec modération et discernement). Ainsi pourrait-on présenter les développements scientifiques comme soutenant les schémas ancestraux qu'on entend aujourd'hui mettre à bas.
Un médiateur est-il un redresseur de torts ? J'entend par-ci par-là qu'au contraire le médiateur est celui qui crée le lien entre les cultures. Soit. Pour ma part, je pense que prendre en compte la culture populaire, c'est justement prendre en compte cette pensée magique.
Alors il n'est pas question ici de choisir entre 'mythocratie' et 'scientocratie', mais de penser un storytelling scientifique mêlant pensée magique et pensée rationnelle. L'enjeu étant de ré-enchanter une société gouvernée par la pensée scientiste. Je vous soumets l'idée, discutons-en.

GF
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Si vous ne les avez pas encore lus :
Bernard STIEGLER, Réenchanter le monde : la valeur esprit contre le populisme industriel, 2006
Ilya PRIGOGINE, La fin des certitudes, 1996
Christian SALMON, Storytelling : la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, 2007

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