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"La philosophie du 18e siècle est favorable aux applications techniques. Elle est naturaliste, utilitaire et pratique(...). Le but de la science apparaît bien ainsi fixé par la philosophie."
"La philosophie du 18e siècle est favorable aux applications techniques. Elle est naturaliste, utilitaire et pratique(...). Le but de la science apparaît bien ainsi fixé par la philosophie."
Jacques Ellul dit :
- Que la Révolution
Industrielle est seulement un aspect d'un mouvement plus vaste qu'est la
Révolution Technique ;
- Que l'essence de cette
Révolution Technique est l'application de la technique à tous les domaines de
la société ;
- Qu'un nouveau monde naît de
cette révolution, sous-tendu par cinq phénomènes concomitants : la maturation
technique, l'accroissement démographique, l'aptitude économique, l'aptitude
sociale, la volonté politique.
On appelle couramment « Révolution
Industrielle » l'ère du développement des machines. C'est prendre le
spectacle de la technique pour une réalité. En fait, la Révolution
Industrielle n'est qu'un aspect de la Révolution Technique.
Pour Mumford, la clef de cette révolution se situe
dans les variations de l'utilisation de l'énergie. C'est évidemment réducteur.
Jusqu'à 1750 on ne connait que la force musculaire et l'énergie hydraulique, de
1750 à 1880 on utilise surtout la vapeur issue de la combustion du charbon, ensuite vient l'ère de
l'électricité, puis celle de la fission nucléaire. Pour Wiener, il y a deux
révolutions : une qui a consisté au remplacement du muscle de l'homme par la
machine, et une qui consiste au remplacement du cerveau par l'informatique.
Encore une fois, c'est restreindre la technique à la machine.
La réalité est qu'on a assisté, à partir de la
Révolution Française, à l'application de la technique à tous les domaines de
la vie : la création d'un Etat organisé (codes Napoléon), la création d'une
technique militaire avec Frédéric II et Napoléon Ier, la création d'une
technique économique avec les physiocrates et les libéraux, la recherche de la
rationalisation dans tous les processus de production. Ainsi tout doit servir
selon les nouvelles règles de la technique imposée.
La Révolution Technique est ce grand travail de
rationalisation, d'unification et de clarification : au niveau social, au
niveau juridique, au niveau politique et militaire, au niveau économique, au
niveau des poids et mesures... L'essor mécanique global provenant de l'usage de
l'énergie arrive après ces techniques.
- C'est alors le triomphe du cartésianisme, Descartes n'ayant pas laissé une philosophie, mais bel et bien une technique de raisonnement.
Mais alors pourquoi n'est-ce qu'au 19e siècle que la
plupart des inventions ont été adoptées dans la vie pratique ? Souvenons-nous
que Léonard de Vinci a inventé beaucoup d'appareils utiles (réveille-matin,
dévideur de soie par ex.) et de perfectionnements techniques (navire à double
coque, verrouillage des canons par la culasse, engrenages coniques, coussinet
antifriction), pourquoi n'ont-ils pas été développés ?
Au 19e siècle, les scientifiques (qui sont de moins en
moins des « savants ») prennent conscience à la fois des nouvelles
matières premières à leurs disposition, mais aussi des nouveaux besoins
auxquels il faut répondre : les recherches sont délibérément orientées vers
l'application technique (notons que Pasteur, initialement chimiste, a été
poussé vers la microbiologie sous la pression des négociants en vins et des
éleveurs de vers à soie).
C'est donc le début de l'asservissement de la
science à la technique, condition déterminante du progrès technique. Ce
sera toute l'histoire du 20e siècle.
Depuis
la deuxième moitié du 18e siècle, l'optimisme ambiant et la philosophie naturaliste
forment un climat très favorable à toutes sortes d'inventions. Les hommes
veulent non seulement connaître mais exploiter la Nature. A ce titre, beaucoup
de philosophes des Lumières ont une vision déjà scientiste de l'Histoire (cette
idéologie ce formera réellement au 19e siècle).
- Cet état d'esprit a créé une bonne conscience des savants qui œuvraient dans un but philanthropique, la technique devant apporter la justice et le bonheur. Ici nait « le mythe du progrès »
Notons toutefois que les premières réactions
populaires ont toujours été contre la machine : le métier à tisser de Vaucanson, le bateau à
vapeur, les hauts fourneaux... Ainsi, ce ne sont pas seulement les idées et la
philosophie qui expliquent ce développement fulgurant de la technique.
Ainsi la transformation de la civilisation européenne
au 18-19e siècle est la conjonction de cinq phénomènes majeurs :
(1) L'aboutissement d'une longue maturation
technique. Chaque invention est l'aboutissement d'une période technique
précédente. Pendant une très longue période d'incubation collective
(1000-1750), la technique s'est développée en souterrain car le milieu social
n'était pas favorable à son explosion. Au 19e siècle, ce qu'on observe pour la
première fois, c'est la formation d'un « complexe technique », c-à-d le
rassemblement d'une série d'inventions au sein d'un ensemble tendant à se
perfectionner sans cesse.
(2) L'accroissement démographique. Celle-ci a
entraîné inéluctablement un accroissement des besoins, qui ne pouvaient être
comblés que par le développement technique. La démographie a d'ailleurs le
double rôle de fournir le marché mais aussi le matériel humain nécessaire.
(3) L'aptitude économique. Le milieu économique
doit être à la fois stable et dynamique : la stabilité permet d'établir une
base définie à laquelle la recherche technique peut s'attacher, mais cette base
doit pouvoir supporter les grands changements que la technique provoque dans la
vie pratique.
(4) La plasticité du milieu social est
peut-être le plus décisif. C'est la disparition des tabous religieux et
beaucoup de groupes sociaux ouvrent la porte à la technique, longtemps
considérée comme sacrilège. Par l'exécution de Louis XVI, la Révolution
Française marque la disparition de ces obstacles et l'émancipation
intellectuelle des populations, mais aussi la lutte contre toutes les
communautés religieuses. En réalité la société européenne s'atomise,
l'individualisme grandit et apporte l'asservissement. Cet asservissement est
nécessaire à la révolution industrielle car l'individu se retrouve alors isolé
face à l'Etat qui devient fatalement l'autorité suprême : une aubaine
pour le phénomène technique.
(5) L'apparition d'une intention technique claire.
Dans toutes les civilisations il y a eu un effort technique dans la durée, mais
c'est la première fois qu'on voit une réelle intention de masse de techniciser
la société. En réalité, ce qui a provoqué ce mouvement général, c'est l'intérêt
industriel : la recherche entra alors dans le domaine technique (avec
Gilbreth). Au niveau politique, la technique est un facteur de puissance à la
fois contre les ennemis du dehors et du dedans, Napoléon l'a bien compris
lorsqu'il voulut protéger « les arts et les sciences » (en réalité la
technique). De plus, les bourgeois ont toujours été mêlés aux avancées techniques,
le règne de la technique est donc définitivement le règne des bourgeois qui
trouvent là un vrai moyen de domination et d'enrichissement.
Ce dernier point est important car il ouvre sur le
rôle du politique dans cette Révolution Technique :
C'est en Angleterre que la technique pris
réellement son essor puisque le capitalisme y était plus développé et les
bourgeois plus libres. De plus, l'Eglise Anglicane depuis le 17e s. a adopté
comme principe l'idée 'd'utilité sociale' posée par l'évêque Warburton. Ainsi
en 1779, James Watt était ruiné et ne pouvait donner suite à sa machine à
vapeur. C'est un bourgeois, Mathew Boulton qui compris les possibilités
industrielles de l'invention et qui aida Watt à fabriquer sa machine.
Alors qu'en Angleterre l'empirisme et le pragmatisme
économique dominent, en France, c'est la monarchie qui lance le
mouvement technique. Celui-ci prend alors une forme plus scientifique : ce sont
les académies, les universités et les instituts qui font autorité et ont la
charge de propager les techniques dans les campagnes.
Nous avons déjà souligné la farouche opposition des
masses à l'arrivée de la technique (le Luddisme de 1811, les révoltes des
canuts en 1831 et 1834, les émeutes ouvrières contre le machinisme en 1848) :
l'intérêt de la bourgeoise n'est pas suffisante pour entrainer toute la société
vers la technique... Arrive au milieu du 19e siècle Karl Marx qui
réhabilite la technique aux yeux du prolétariat : « la technique est
libératrice, il faut s'insurger contre les maitres et non contre la
machine ». Ainsi de 1850 à 1914, tout le monde est convaincu de
l'excellence du mouvement technique (seul Kierkegaard avait émis un avis
prophétique contre la technique mais d'un idéalisme un peu trop vague).
La Prusse
avait aussi le contexte favorable au développement technique. La plupart des
autres pays européen ont plus de difficultés à entrer dans cette révolution du
fait du maintien des structures sociales et l'encrage fort de la religion.
A noter que les USA se sont construits pendant
cette période de Révolution Industrielle, ils ont donc adopté tout de suite la
conscience technique qui émanait d'Europe. Si bien qu'ils ont passé outre les
étapes d'incubations et d'oppositions : la nation américaine s'est fondée sur
le mouvement technique et industriel.
Dès lors que toutes ces conditions ont été réunies, a
pu se déclencher la grande mobilisation des hommes et des choses nécessaire à
l'essor de la société technique. Technique qu'il nous reste à caractériser.
GF
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A suivre, Technosociété (7)
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