Aujourd'hui, quelques lignes sur l'image scientifique la plus célèbre : « the road to Homo Sapiens », communément appelée « the March of Progress ». On y voit se succéder les différentes étapes de l'évolution humaine jusqu'à « l'homme moderne », le plus fort de tous, nous. :o)
La
voici en version intégrale, suivie de sa version la plus célèbre :
Rudolf
ZALLINGER dans « The early man » (célèbre ouvrage du
Time-Life à visée pédagogique, 1965)
Ce
visuel est devenu le symbole de la théorie de l'évolution... Et
disons-le tout de suite, cette illustration est pour moi une pure foirade culturelle puisqu'elle
consacre définitivement une vision erronée de la théorie
darwinienne, celle qu'elle entend défendre.
Faut-il donc s'en passer lorsqu'on parle d'évolution ? On en
discute.
-
Dis tonton, c'est quoi « La théorie de l'évolution » ?
Sauf
erreur, la théorie darwinienne est celle qui est communément admise
par la communauté scientifique. Il n'est pas question d'en disserter
ici. Notons simplement qu'elle est un modèle de contre-pied et
d'impertinence face aux visions traditionnelles du monde : elle
introduit la notion d'aléatoire comme moteur de l'évolution
biologique et prive l'Homme de son destin divin en le replaçant dans
la vaste chaîne alimentaire (à ce titre, Freud la considère d'ailleurs comme
une blessure narcissique).
A
noter qu'à l'instar de la plupart des théories scientifiques, les
travaux de Darwin se sont imposés à la suite de nombreuses
controverses. Ces controverses, bien que terminées sur le plan
scientifique, demeurent toujours sur la scène publique car elles
agitent de nombreux concepts métaphysiques et théologiques
(concepts dépassant largement les compétences des scientifiques).
- D'accord tonton, mais en
quoi « the March of Progress » diffuse-t-elle une image
faussée de la théorie darwinienne ?
Du calme, j'y viens. Je
pense surtout que cette illustration entretient une sorte de flou général (le flou
artistique sans doute) sur la question d'évolution. Voici un bon exemple d'un visuel
porteur de schémas culturels forts : la vision progressiste,
fataliste et anthropocentrée de l'évolution, les bases
téléologiques d'un « dessein intelligent » mais
également les bases d'une pensée transhumaniste, voire
posthumaniste... Bref, chacun peut y voir ce qu'il veut, un peu
gênant quand il s'agit d'expliciter la théorie d'un scientifique.
- A noter que manifestement, le fait que personne ne comprenne fondamentalement la théorie darwinienne ne bloque pas les développements scientifique et technique qu'elle permet. Intéressant pour qui pense que la culture est une condition au progrès scientifique... à discuter.
Les
principales conséquences de ce flou sont (1) la propagation d'une
vision transformiste de l'évolution (celle de Lamarck ! C'est quand
même la plus ironique), (2) la propagation de l'idée de l'évolution
comme une complexification (l'homme étant « plus évolué »
qu'un singe... ou qu'une bactérie), (3) l'entretien d'une vision
téléologique de la nature.
--
Ce
n'est pas inventer la poudre de le dire : l'image n'est pas neutre,
c'est même l'un des plus puissants outils de communication. D'autant
plus qu'une image aussi éloquente que la « Marche du Progrès »
possède un fort pouvoir de mémorisation et du coup s'impose à nous
comme une preuve. Ainsi malgré son esprit faussé, cette image a un impact phénoménal sur le public, on peut en juger sur le nombre
incalculable de parodies tirées de l'illustration originale.
S'il
est banal de dire que l'image a une forte influence sur les publics,
comprendre ce que ça implique pour le médiateur est rare. On
constate facilement que le pouvoir de médiation de l'image dépasse
l'entendement du journaliste ordinaire.
De
fait, on
a souvent tort de croire qu'un visuel (aussi bien une illustration
qu'un tableau de chiffres), prétendant décrire une réalité, peut
être considéré comme objectif et sans impact émotionnel sur le
public. C'est un problème récurrent de l'illustration et de
l'imagerie scientifique. Beaucoup de journalistes et de scientifiques
ne veulent pas le voir, c'est dommage.
Et
si l'on considère souvent qu'une image vaut mille mots, il est
temps de se poser sérieusement la question du pouvoir de
l'illustration dans la communication scientifique, et l'importance
d'y consacrer quelques neurones.
Pour
terminer avec « la Marche du Progrès », l'ironie de
l'histoire est qu'on cherche à défendre la théorie de Darwin en
illustrant l'Homme descendant du singe (qui a été l'une des
principales caricatures des opposants à Darwin) ! Après tout,
peut-être nous obstinons-nous à faire descendre l'Homme du singe de
peur qu'il ne descende de son piédestal...
Toutes
les vérités scientifiques sont-elles bonnes à dire ? intéressante question.
Mais
alors, doit-on se défaire de cette image pour parler d'évolution ? Quand on parle de progrès, difficile de faire marche arrière, mais
je laisse le soin aux plus créatifs d'entre-vous de trouver une
alternative. Au cas où, dites-moi.
GF
.
Quelques
pistes pour continuer la réflexion :
Marie-José
MONDZAIN, Qu'est-ce
que voir une image,
2004
Jean-François
TERNAY, De
la mise en forme à la mise en scène du réel,
2001
Igor
BABOU, Images
numériques et médiatisation des sciences,
1997
Stephen
J. GOULD, La
vie est belle : les surprises de l'évolution,
1989
André
GUNTHERT,
Métamorphoses de l'évolution : le récit d'une image,
2009
http://soocurious.com/fr/evolution-homme-illustrations/
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